une douce journée

Levée à 5h45; douchée, shampouinée, habillée à 6h10; repue vers 6h20 ; première cigarette au frais en haut du stoop peu après.

J’ai passé le weekend quasiment cloîtrée, à tourner autour de mes cahiers, mes livres, l’ordi, sans réussir à me mettre physiquement au travail. La procrastination dans toute sa splendeur, celle de ceux qui ne s’autorisent pas un peu de détente avant d’avoir fait le boulot prévu mais coincent complètement devant la tâche et trouvent soudain cent autres petits trucs à faire tout en regardant l’heure tourner. Le samedi, on n’angoisse pas encore trop, et on abandonne en fin d’aprem. Je suis allée jusqu’à l’épicerie repérée sur le Net comme vendant du tabac à rouler bio de la marque American Spirit (enfin!!). En route, je me suis arrêtée au Dunkin Donuts histoire de craquer et me faire plaisir avec des petites grosses douceurs, j’ai beaucoup levé le nez en marchant, l’appareil photo en bandoulière. Je suis ensuite allée faire un tour dans des magasins et suis revenue avec des enceintes pour mon portable (que leson, c’est trop pourri sur un ordi portable, franchement).


Le dimanche, la procrastination commence à vous prendre à la gorge. J’ai la tête pleine d’idées, de pistes, de souvenirs de la semaine … des échos de conseils donnés par plusieurs collègues, de conversations avec des officiels, les amis …. des interrogations et des doutes sur mon énergie, mes envies, mes compétences … des relents de colère et encore la boule au ventre. Ce n’est donc que vers 16h que la panique et l’urgence se font sentir, et je m’attèle péniblement à la fabrication d’un cours sur Powerpoint pour utiliser le smartboard. J’ai bien compris qu’un des éléments possibles de ma « survie » passe par là, les élèves y sont totalement habitués. Mais pour moi qui n’ai jamais utilisé ce programme, c’est laborieux, d’autant que pour m’assurer une compatibilité totale avec les smartboards, je travaille sur le laptop (portable) du collège, et toutes les explications techniques sont en anglais, je ne comprends pas tout (ben non! :( ). Vers 23h30, j’ai pondu deux diaporamas = 2 pauvres leçons pour des 6th grades, ainsi que les documents Word qui accompagneront les élèves. J’ai en tête un plan de cours pour ces fichus 7*a qui m’en font voir de toutes les couleurs, mais je dois aussi prévoir un plan B.


Puis, l’air de rien, quand je procrastine, ma cervelle fonctionne quand même. Et je commence à avoir une idée assez nette de ce que je voudrais poser durant la semaine pour montrer que je ne me laisserai pas faire, et comment mettre ça au point. Mais il est presque minuit maintenant, je n’ai plus les yeux en face des trous.


Aussi … ce matin, quand l’heure de partir approche, et que je vois toute la désorganisation encore existante, je paralyse. Complètement.


Yes, ladies and gentlemen … I played hookie!

J’ai fait l’école buissonnière.

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J’ai envoyé un mail à la principale où je disais clairement que je ne pouvais pas … mais juste aujourd’hui. Que j’avais besoin de finir de poser les choses. Et que bien sûr, j’assumerais les conséquences de cette absence pour peu qu’elle m’indique comment (rattrapage de cours, je suppose?).


Et je me suis mise au boulot. J’ai pu enfin voir clair dans ce qui avait lentement pris forme durant le weekend. Oh, rien d’extraordinaire ni de vraiment inventif! Mais puisque ce n’est pas par la sanction que je les approcherai, passons par l’évaluation.J’ai mis au point (mais je n’ai rien inventé, c’est vieux comme mes robes, comme on dit) une « Commitment Grade« , une note d’investissement, qu’ils vont se gagner tous seuls. Je ne retire pas de points, j’en donne et je les cumule. Tous ceux qui n’auront pas leur nom marqué au tableau en fin d’heure gagnent des points. Un devoir maison fait, bâclé ou soigné, rapportera les points ad hoc. Celui qui se sera fait remarquer en cours, mais a cessé de bouger et s’est peut-être même mis un peu au boulot, gagne des points. C’est ça le système américain : la valorisation. Et ce sont eux qui se valoriseront tous seuls. Moi …je compte les points. Pour les motiver un peu et montrer que je tiens la route, aux premiers 25 points ils ont un reward un peu plus conséquent. Et à 100 points, non seulement ça leur fait l’équivalent d’un 20/20 dans leur moyenne, mais encore un chti cadeau, toujours en rapport avec la culture française. Arf … je sais bien qu’il y aura des rebelles à cette tentative, mais bon, nous verrons.


Par ailleurs, j’ai décidé que s’ils continuaient à ne pas me laisser parler, je mettrais de toute façon tout par écrit sur Powerpoint = les explications sur la Commitment Grade, et quels types de comportements m’amèneront à noter leur nom au tableau ET dans mon petit carnet. Et s’ils ne veulent pas lire et continuent de m’ignorer ostensiblement, je ferai la stratégie du domino : je ferai cours dans le bruit ambiant aux quelques élèves qui dans chaque classe se sont montrés disposés à bosser et ont attendu toute cette semaine que je fasse quelque chose, et je chercherai à établir des contacts plus personnels avec des élèves que je qualifierais de « tangents ». A terme, je pourrai toujours opter pour demander à ce qu’on me retire les élèves insupportables (je sais que je peux le demander, que j’ai un statut un peu à part dans l’école … mais bon, pas envie d’un traitement de faveur d’entrée de jeu). Et bien sûr, pour les plus durs, appeler les parents,les convoquer chez le « dean » (le CPE, quoi)


Voilà pour la partie « discipline + approche pédagogique » de survie (volet n°1, j’en suis consciente). J’ai d’autres idées vagues, et les futures situations m’amèneront à concevoir d’autres stratégies sans aucun doute. L’inconnue étant quand même leur propre degré de résistance ; quels sont leurs critères de « testage » de prof, combien de temps, jusqu’où? Et moi, ma propre résistance? A quel moment cette expérience devient-elle ridicule si je n’en tire guère de bénéfices professionnels et personnels?


J’ai également fini de mettre au point un cours d’abord conçu pour les 7*a, mais que je vais utiliser avec toutes les classes à des moments divers dans les 2 semaines à venir. Projeter un clip de MC Solaar en leur donnant du vocabulaire extrêmement basique pour exprimer leurs goûts, puis les amener à me rédiger sur feuille (avec modèles sur le smartboard et boîte à mots sur la feuille elle-même) 4 phrases pour me parler de ce qu’ils écoutent. Débutants ou pas débutants, je pense que leur enseigner tout de suite à exprimer leurs goûts pourrait les motiver un peu. Je crois même que je vais en faire une sorte de fil rouge.

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La journée fut douce. Parce que sans élèves, certes. Mais parce que j’ai finalisé une partie de mes préparations au soleil, assise en haut des marches, avec mes clopes, du café, un carnet et un stylo. Parce que j’ai eu le sentiment de respirer, d’avoir juste le temps qu’il me fallait pour finir d’y voir clair. Parce que j'ai des projets, et qu’il me fallait ces 24 heures pour me rassembler, penser à moi et comment ne pas me faire trop de mal dans cet environnement brutal. Parce que la très vague tentation de laisser tomber s’est éloignée à grands pas pour l’instant. Parce que …


Parce que des gens sont passés et m’ont parlé. Il y a même eu un moment assez magique où nous nous sommes retrouvés à quatre sur les marches, assis au soleil, à parler de New York et à rire de petites choses.


Oh, je connais le processus : je passerai par d’autres phases de découragement ou de fatigue. Mais je viens de franchir la première étape, et j’ai envie d’être à l’école demain.



Merci pour tous vos commentaires dans le précédent article. Je ne m'attendais pas à des réactions (les autres articles n'en ayant pas eu), et surtout à autant! Hey, ça m'a fait chaud au coeur, et vous avez un peu participé au cheminement de mon école buissonnière ;-)

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Comments

  • Merci grandement Catherine! Réponse dans l'article "les montagnes russes du bronx". Disons que j'ai encore eu quelques épisodes de colère frustrée, mais pas à cause des élèves.
  • Chère Marie-Virginie, comment s'est passée la journée d'hier? Tes préparatifs ont-ils donné quelque résultat? J'espère qu'on pourra bientôt te lire. Ce soir cela fera deux jours avec les élèves. On a envie de savoir si tu t'en sors! On pense à toi, on te souhaite bon courage...
    Amicalement
    Catherine
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