Source: Mon Chemin Médical

28 février 2010 - Cange, Haïti 22h38


Depuis mon arrivée en Haïti le 4 février pour une deuxième mission post-tremblement de terre, je cherchais un moment libre où j’aurais la force morale pour mettre à l’écrit les épisodes de tout ce que j’éprouve ici en tant qu’interprète médical, coordinateur chirurgical et liaison culturel pour les équipes d’urgences invitées à une des hôpitaux de PIH/Zanmi Lasanté, réseau de soins médicaux dont le site principal se trouve dans la commune montagneuse appelée Cange. Aujourd’hui, j'en saisis l'occasion enfin par crainte que je n’oublie quelques aspects clés de l'expérience avant que cette force ne me parvienne.


Le boulot


Ma faculté de médecine a fait preuve d'une générosité inattendue lorsqu'elle m'a permis de prendre un congé autorisé de quelques mois afin de me rendre en Haïti pour appuyer de façon directe les efforts humanitaires ciblant la reconstruction du pays. Par la suite, je me suis joint à PIH/Zanmi Lasanté pour plusieurs raisons, dont une réputation remarquable de service rendu à mon patrimoine culturel pendant plus de deux décennies. Puisque j'ai quitté mes études quelque part au milieu de la deuxième année de médecine, je ne m’attendais pas à pouvoir leur offrir beaucoup d'aide au-delà de mes capacités linguistiques, donc j’y ai posé ma candidature ne visant qu’un rôle de « traducteur médical ». Pourtant, chose frappante, j'ai appris très vite que la traduction ne fera qu’une modeste partie de l’ensemble des susdites responsabilités.

Non seulement fallait-il que je gère la logistique des patients et chirurgiens, que je facilite la communication entre plusieurs gens qui n’avaient en partage ni langue ni culture non plus, et que je fasse de mon mieux pour résoudre divers défis tout en essayant de combler mes nombreux points faibles, mais il m’est arrivé d’avoir même à agir en tant que médecin, sachant bien qu’il aurait fallu des années avant que je ne mérite le titre de « Docteur ». Fardeau inimaginable. Des nuits blanches. Sentiment, vrai ou faux, que les demandes que l'on m'impose sont impossible à accomplir, alors que la survie de plusieurs dizaines de patients – de victimes des secousses – dépende de ma capacité de tout réaliser.

Trois semaines écoulées – avec l’appui inestimable de biens des gens, je me suis habitué à mon poste et le nombre de patients s’est amoindri, grâce à des évolutions cliniques favorables pour la plupart. Je me suis fait pas mal d’amis et suis devenu, en quelque sorte, un petit peu plus haïtien.


Les patients


D’innombrables plaies saignantes. Bras et jambes écrasés, sinon amputés. Infections. Maladies que se chevauchent avec la faim, la pauvreté et la misère. Pure douleur. Cris. Pleurs. « Tout moun sé moun » comme on dit ici – c’est-à-dire, tout individu est un être humain. Y compris le patient. Surtout le patient.

Comme si je suivais un cours intensif de l’essentiel de toute la médecine, les victimes survivantes du 12 janvier m’enseignent chaque jour l’exemplarité de mon domaine comme entreprise d’humanité. Au cours des premiers jours écoulés, j’ai subi, et subis encore, une transformation que je qualifie d’exclusive au domaine de la santé : hypersensibilité à la souffrance humaine, suivie d’une désensibilisation à outrance, et enfin une sensibilité dynamique qui permet de ne s’éloigner que suffisamment pour que les soins requis soient procurés. Certes, le processus me semble aujourd’hui évident. Mais entre l’étendue et la gravité des blessures, à plusieurs titres, et le fait que je partage avec tout patient héritage, culture, langues, histoire, et même une dévastation partagée, je me considère plutôt chanceux d’être néanmoins parvenu au point où je reconnais les étapes de ce processus.

J’admets toutefois n’être pas tout-à-fait certain de ma place dans cette gamme de sensibilité. Peut-être que ladite « place » n’est pas constante. Peut-être qu’elle change chaque jour, voire chaque heure, moyennant son état physique, son humeur, la disposition de son esprit, ou quelque chose de connaissable, ou d’inconnaissable, chez le patient. J’ai évidemment encore beaucoup à apprendre, mais les patients ne manquent jamais de me montrer le prochain pas à franchir.

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Comments

  • Cher Ernst,
    Bon courage et bravo! ton temoignage est tres touchant! Des jeunes comme toi representent l'avenir et surtout l'espoir d'un peuple dont la plupart des concitoyens ont tourne le dos. La semaine derniere une cousine qui est infirmiere et qui n'avait jamais mis les pieds en Haiti auparavant m'a telephone pour me dire qu'elle partait pour une semaine avec une equipe medicale de son hopital. C'est fou comme la detresse humaine en Haiti a sensibilise les gens!!!
  • Dear Ernest:
    I'm sure you must know that we at St. Esprit are praying for you constantly. You are always in our thoughts and we speak of you often. I am reading your blogs with great interest, and although I am not sure I understand all of the second blog....my French being as limited as it is But I do know that we send you our love and our support. God bless you and all your loved ones, and may we see you again soon. Sheila
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