Source: Mon Chemin Médical


Fin de semaine - du vendredi 5 mars au dimanche 7 mars


Repos


Forcé à prendre quelques jours de congé, je me suis rendu chez ma cousine dans le quartier de Debussy à Port-au-Prince afin de me récupérer. Samedi matin. Il fait frais et il pleut, ce qui m’étonne dans la mesure où l’on est au sein des tropiques.


Nous sommes allés à Pétionville où ma cousine avait quelques affaires à régler à son bureau. J’ai eu la chance de l’y accompagner, ainsi profitant de l’occasion de me promener un peu dans ce coin bourgeois du pays. Chose encore plus chanceuse, il y a bien des magasins dont des librairies qui n’ont pas été touchées par les secousses. Ayant quelques dollars américains dans ma poche, je n’ai hésité aucunement à appuyer l’économie de mes compatriotes en achetant une vingtaine de livres couvrant tout une gamme de sujets : la poésie et autres ouvrages littéraires haïtiens, le vaudou, la société haïtienne, des manuels et des dictionnaires sur le créole haïtien, l’histoire politique d’Haïti, etc. Roumain, Price Mars, Stephen Alexis, Frankétienne, Laferrière, Trouillot,Lahens, parmi tant d'autres. Une alimentation culturelle qui servira à muscler mes connaissances en tout ce qui concerne le pays de mes ancêtres, et qui m’aidera à laisser des traces pour que ma fille puisse connaître la branche paternelle de ses racines. Car ni misère, ni guerre, ni tremblement de terre n’effacera jamais les repères que les grands cerveaux haïtiens ont légués à leurs confrères.


Religion: Et Dieu dans Tout Cela ?


Rentré à Port-au-Prince, je me sens très calme. Tranquil. Certes, à un moment donné, tout ce qui m’entoure peut être réduit en cendres par une autre secousse. Mais je n’y pense pas. Ou est-ce que je n’ose pas y penser… de manière concrète? Peut-être que je me trompe profondément. Peut-être que je devrais ignorer ce que je viens d’écrire. Je l’accepte comme possibilité – mais je nie sa vraisemblance. Quoi de plus humain, que de s’accrocher aux croyances qui nous conviennent – qui nous servent. Comment expliqueriez-vous que les secousses ont affaibli, sinon anéanti, la foi religieuse de quelques uns, tout en renforçant la confession de plusieurs d’autres ? Quant à moi, je n’arrive pas encore à déchiffrer les effets des secousses sur mon esprit. Je me demande si elles ne m’ont qu’enfoncé davantage dans l’abîme d’ignorance au sujet de l’existence d’une intelligence infinie. Si j’y répondais que si, c’est certain pourtant que j’aurais envie d’apprendre à croire en l’existence de celle-ci. De la connaître et la comprendre. Je lui demanderais de m’aider à comprendre la raison pour laquelle l’histoire d’un peuple qui souffre depuis la naissance de leur bien haïe nation aurait à aboutir à un désastre démonique qui aura ôté les vies à quelques centaines de milliers d’innocentes victimes. J’ai entendu dire que les voies du Seigneur sont impénétrables… c’est sûr que de telles croyances, dans des telles circonstances, seraient tout-à-fait pratiques, et convenables à tout un chacun qui autrement n’arrive point à réconcilier une forte foi chrétienne et une crise aux proportions inimaginables.


Résilience


Si la résilience de l’haïtien outrepasse les limites de l’imaginaire, elle a trouvé dans les dégâts des secousses un adversaire à sa hauteur. Vivant à Port-au-Prince à la suite des secousses, il y a un élément peu subtil qui arrive toutefois à échapper à la perception de même les plus touchés parmi ceux qui vivent à l’étranger. C’est que chaque matin, même si l’on a eu la chance de faire sa nuit sans le moindre rappel de la destruction totale de sa ville, le cauchemar qu’est la réalité quotidienne attend sans faute son éveil. C’est-à-dire que chaque jour, on est obligé à accepter que son église, son magasin, son école, son bureau, et les domiciles de bien de ses amis – et souvent, son propre domicile – sont complètement, incompréhensiblement détruits. Pendant que les cadavres visibles ont été retirés des rues, même si jamais des mémoires, les déchets architecturaux demeurent et finissent par remodeler - reconstruire - la conception de son chez-soi.


Quoiqu’il en soit, j’entends parler jusqu’à présent de la résilience haïtienne. Une résilience qui semble défier les pires des circonstances. D’où serait provenue cette caractéristique qui s’avère, parfois, aussi incompréhensible que le caractère aléatoire des désastres naturels ? Cela aurait forcément puisé ses origines dans l’esprit et l’héritage du Nègre Marron – cet esclave d’origine africaine qui eut l’audace de
croire, au milieu d’un univers colonial, en l’idée la plus révolutionnaire de l’époque : que la devise de la révolution française – liberté, égalité, fraternité – s’appliquait non seulement au français, mais à tout être humain. Celui-
là, d'ailleurs, força l'Occident à avaler un comprimé plutôt amère et de taille importante - un comprimé qui a failli étouffer celui-ci: l'homme de peau noire est, lui aussi, un être humain. Il se pourrait que le destin d'Haïti - destin souvent humiliant - lui soit infligé en partie par un Occident qui a toujours été allergique à l'amertume de ce remède de cheval.


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Comments

  • Bonjour Ernest, Je trouve ton homage a la resilience haitienne tres emouvant, et j'espere avoir l'honneur et le plaisir de te rencontrer a NY--si jamais ta vie reprend son allure "normale."
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