bilan : côté négatif

(Vendredi 13 16 septembre)

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Je ne vais pas y aller par quatre chemins.


Cette semaine a été en grande partie infernale. A un moment donné, je me suis dit que j’étais arrivée en ayant un peu trop confiance en moi, me reposant sur 7 ans d’expérience dans deux établissements ZEP, le deuxième (5 ans) étant alors également labellisé « sensible » et « plan violence ». Je me suis demandé aussi si l’âge ne jouait pas un rôle dans mon impuissance ou mon manque d’énergie (= pas envie de hurler, par exemple). C’est possible … Je suis peut-être un peu usée après 16 ans d’enseignement.


Mais je constate deux différences majeures qui expliqueraient que je n’ai quasiment pas pu enseigner un mot de français de la semaine et me suis retrouvée seule, debout, devant des classes très bruyantes, rigolardes, avec toujours au moins 3 ou 4 gamins debout à faire ce que bon leur semble (pourchasser un(e) camarade à travers la salle, aller chercher un truc dans son casier, emmerder un autre élève en lui piquant un truc), des élèves me hurlant dessus parce que je n’ai pas répondu à leur question alors que je réclame le silence, d’autres m’interpellant agressivement parce que j’ai écrit leur nom au tableau (« astuce » pour les calmer, paraît-il … ça a plutôt marché avec une classe de 6ème, cela dit, mais sinon les autres se lèvent pour effacer leur nom ou ont de brusques mouvements d’humeur en me disant des choses que je ne comprends pas mais qui semblent très « drôles »…) Quoi d’autre? Des gamins qui conversent à voix très haute durant tout le cours sans s’occuper une fois de ce que le prof peut dire ou faire, sauf si l’on s’adresse directement à eux. D’autres qui font des commentaires sur moi de manière très intelligible (et quand je leur demande de me parler directement s’ils ont un truc à me dire, me répondent qu’ils ne me parlaient pas et de m’occuper de mes affaires). Bah, je pourrais continuer, y’en a plein d’autres … Ah ben si, j’ai eu droit à un stylo dans le dos, et à un « Fuck you! » anonyme.


A dire vrai, voilà des situations qui me sont familières. A Grigny, ça pouvait largement se passer comme ça, et mes réflexes de survie et mes trucs et astuces pédagogiques sont sans doute un peu rouillés après 8 années dans le ronron du sud de la France, même si ce n’est pas toujours exemplaire non plus. Alors quoi? Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à m’imposer? Je sais qu’une certaine barrière de langue existe : je ne comprends pas les trois-quarts du « slang » qu’ils utilisent et ils ne font aucun effort pour articuler. Et je ne maîtrise pas tous les mots-clés utilisés par les autres profs. Je bafouille parfois en pleines explications-négociations avec un ou deux élèves.


Et donc, disais-je en début d’article, deux différences majeures avec un établissement français, voire une ZEP:


1- En France, à l’époque où j’enseignais en ZEP, le nombre d’élèves par classe était fixé à 22 maximum, parfois, exceptionnellement, on en avait 23, peut-être 24. Là, j’ai affaire à des « groupes » de 34 et plus la plupart du temps. Les 7*a, qui m’ont bordélisée comme jamais je n’ai été bordélisée, sont 31. Y’a pas moyen de tenter de régler des problèmes individuels en classe, et peu de temps pour le faire en-dehors.


2- La soi-disant reprise en main en termes de discipline est une illusion. Pour qu’une classe me foute un boxon pareil malgré la double intervention d’une Principale-Adjointe … c’est que les gamins ne se sentent pas courir le moindre risque …. Pour qu’une classe ne parvienne pas à faire le silence total malgré la présence de trois adultes, c’est bien que les adultes ne peuvent rien faire ; les exclusions de cours sont très mal vues ; les heures de colle ne se font que sur la pause-repas, il faut donc en user avec une extrême parcimonie sous peine de se faire accuser de châtiment corporel; je pourrais donner des punitions qu’ils ne feront pas, ce pour quoi je les punirai davantage et ils me ridiculiseront davantage.J’en déduis que je n’ai pas de moyens de pression de ce côté. Fort bien, je ne tombe pas complètement des nues, mais j’aurais apprécié qu’on ne me tienne pas un discours de vainqueur pendant plusieurs jours avant la rentrée.


Bref, j’ai versé des larmes trois fois cette semaine, et je commence à être colère. Mais …. mais…. quelle cure de jouvence!! J’ai l’impression d’avoir 25 ans à nouveau, quand on m’a envoyée au casse-pipes la première fois!

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Ce n’est peut-être pas une bonne idée de rédiger cet article en fin de semaine. Je suis fatiguée, énervée, un peu désespérée, je vois les choses en gris foncé. Mais c’est aussi bien : nous apprécierons tous d’autant plus toutes les choses joyeuses, amusantes, réussies, positives par ailleurs. Il y en a, et je ne manquerai pas d'en parler!

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Ah, j’oubliais. Une heure avant la fin des cours aujourd’hui,il y a eu un « shooting » (une fusillade) sur le trottoir en face de l’école. Pas de blessés, mais deux ou trois zigotos qui courent toujours avec des guns dans les poches.


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Comments

  • @claudia : hi hi, je me reconnais tellement dans ce que tu écris! Mais - hélas il y a un "mais" - ce n'est pas ici juste question d'un leader ; ils sont plusieurs, disséminés, avec différentes attitudes et provocations. En tout cas, j'ai du mal pour l'instant à voir qui serait LE leader, le seul et unique instigateur d'un tel foutoir ... Je n'ai jamais vu ça! Même en présence de la Principale (qui est restée deux heures en classe avec moi hier) ce n'était pas clean (selon mes propres critères) .... La différence culturelle est très importante, et ils sont également habitués (formatés?) à certaines techniques d'enseignement que je ne maîtrise pas forcément. Et je bosse comme une malade pour préparer ne serait-ce qu'un seul cours qui répondrait à leurs attentes ...
    ?
    Merci beaucoup pour ton soutien, en tout cas!
  • ah les techniques! malgré leur "attitude" comme partout, 90% sont des moutons, pour moi ça a marché en trouvant le leader et en le confrontant non pas en tant que prof. mais en tant qu'etre humain qui refuse de se laisser faire. Une autre fois ce qui a marché a été d'agir devant eux de façon inattendue... ils ont perdu pied; au milieu du vacarme, je me suis assise, j'ai sorti mon livre et mon sandwich....puisque vous ne voulez rien, vous n'aurez rien... cela a crée un dialogue, j'ai eu l'ocassion de leur dire que j'avais bien mieux à faire dans ma vie, que si j'avais choisi d'etre là c'était pour partager des connaissances qui leur seraient utiles ds. leur vie. Ça a plutot bien marché, j'ai continué à etre très stricte en tenant la laisse très courte tout le temps.
  • @antoine
    courage ... folie ... inconscience ... je ne sais encore vraiment comment qualifier mon investissement dans le programme Jules Verne! lol
  • @Maggie
    oh dear ... mon année dans le bronx pourrait ressembler à ça en effet! Merci pour votre soutien, et oui, je me soigne, j'ai suivi le seul et unique conseil que tous m'ont donné : "Have a glass of wine" ;)
  • @olivier

  • @Philippe : ah oui, enseigner le niveau collège (middle school), c'est un des plus durs, mais malgré tout j'aime beaucoup bosser avec eux. Et mon expérience ici se déroule das le cadre du programme Jules Verne (échange de profs) et devrait être limitée à une année.
    Pas de hors-sujet ni rien ;-)
  • impressionant!
    j'admire votre courage.
    bonne journee
  • Achète un blouzon noir et viens en Harley Davidson...et tu auras le respect !
    Bon courage,
    Olivier.
  • Bonjour Marie-Virginie--

    Je vous souhaite bon courage! J'ai une collègue, prof d'anglais depuis 32 ans, qui dit que parfois son but à court terme, c'est de rester debout, et son but à long terme, c'est d'enchaîner plusieurs buts à courte terme. Soignez-vous surtout.
  • Bonjour Marie-Virginie,
    Eh bien, je voulais dire que moi aussi, j’ai eu des problèmes de discipline avec les petits Français. Parmi les petits Américains, c’était encore pire mais c’était comique en même temps : Il y en avait un qui se cachait sous son bureau, un autre qui sautait comme une grenouille pendant tout le cours tandis que moi, j’essayais d’enseigner. Cependant, je remarque qu’au niveau universitaire - J’enseignais à l’université de Washington (U.W) en tant qu’assistant pendant cinq ans - et à présent au collège où j’enseigne, il n’y a aucun problème de discipline. Il s’agit d’une autre tranche d’âge : de 17 à 25 ans. C’est mon conseil, Marie-Virginie, tu devrais essayer d’obtenir un poste dans une université ou un collège communautaire. Dans le cas où tu aurais besoin d’études supplémentaires, par exemple ici, à Seattle, une thèse de doctorat dans le département des langues romanes, c’est une centaine de pages. C’est ce qu’on demande en France pour un master… J’espère que je ne suis pas hors-sujet et que je ne suis pas trop « wiseass » avec mes commentaires…
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