Les écrivains et les critiques littéraires représentent un type de lecteur particulier par le fait d’avoir un empan d’intérêt beaucoup plus large que celui du lecteur moyen. Dans le champ de la création littéraire, à la jouissance du produit fini ils entendent ajouter la remontée des sentiers de la création. Histoire de pêcher des trucs, des astuces, des pirouettes et des secrets. Cette observation vaut également pour les cinéastes et les réalisateurs. On connait les fameux journaux de tournage ! Bref, dans le domaine de la création littéraire viennent à l’esprit  les carnets d’écrivains tels Flaubert, Albert camus, Marguerite Yourcenar. Les Journaux de Roger Martin du Gard et de Julien Green (l’exemple le plus ample du genre). Les Correspondances d’André Gide et de Chateaubriand. Le fameux bloc-notes de Mauriac. Ce sont des miettes substantielles dans lesquelles on peut picorer à loisir avec une gourmandise à intensité variable. Bernard Pivot ne se prive pas de ce type de nourriture qu’il trouve très succulent, surtout quand c’est servi par de grands chefs de la gastronomie littéraire. Il m’arrive de penser que Ces fameux carnets pourraient constituer un genre à part qui, certainement, comporte un coté redoutable et impudique.

      Redoutable parce que les Carnets ont l’effet d’un miroir brisé ou fragmenté de l’Intelligence de l’écrivain. Flaubert s’y révèle étincelant d’éclair de génie et d’intuition. Et dire que certains trouvent son style très inégal sans pourtant parvenir à le déboulonner de son piédestal de grand écrivain. Impudique ? A dire le mot, on éprouve une sensation de saleté, d’écoulement et de pollution, d’éruption de furoncles. Et un gout certain pour une forme d’exhibitionnisme. Un carnet ou un journal relève forcément de l’atelier avec ses salissures, ses copeaux et ses éclats de marbre. Impudique aussi parce que l’écrivain, qui s’engage dans la voie des Carnets et des Journaux, s’expose avec plus d’acuité aux rayons (dards) tant des professionnels de la psychanalyse littéraire que des dilettantes toqués. On peut à bon droit soupçonner certains écrivains d’avoir fait un lessivage consciencieux  avant de se livrer « sans feuille de vigne » aux lecteurs et critiques. Il est des toilettages qui jettent sur l’objet de leur soin « une obscure clarté » (l’image est d’Hugo). Quand c’est fait au nom de souci esthétique ou par motif de faire de sa vie « une œuvre d’art », il y aurait mauvaise grâce á faire reproche á l’auteur.

       En essayant de se dégager de la fascination des grands auteurs, on peut apprendre quelque chose sur le processus de la création (anecdotes et éclairages psychologiques inclus) chez des auteurs et des critiques moins connus ; certains d’entre eux authentiquement grands, bien que mal connus dans certains milieux : je pense au grand poète Philippe Jaccottet et l’immense  Vassili Rozanov. J’ai, par amour du nombre parfait, retenu 12 titres (deutérocanoniques) hors du Canon hégémonique.

Hôtels Littéraires (Nathalie H. De Saint Phalle) Le titre pointe en direction d’un lieu de création devenu classique depuis qu’on voyage beaucoup, au point d’avoir le statut de lieux fétiches pour écrivains et conférenciers en transit. Ce livre est une mine de renseignements et d’anecdotes en son genre. L’auteure y accorde une mention élogieuse á l’hôtel Oloffson (Port-au-Prince) où Graham Greene avait pris logement pour en faire un élément important du cadre de Les Comédiens  grâce, en partie, aux suggestions d’Aubelin Jolicoeur-, le Petit Pierre du Roman.

Ecrire Jour et Nuit (Bernard Pingaud) J’avoue être venu á ce livre par respect pour le patronyme de l’auteur .Et j’ai découvert un atelier de belles promesses, un champ de thèmes cousus de jeux de reprises et d’ ; abandons. Ce livre qui relève du genre des Carnets, est au fond, un ensemble de tiroirs en enfilade où l’auteur a entassé 20 ans de projets d’écriture à l’état de phrases, de paragraphes et de pages entières. Il faudrait citer tout le livre, et le déflorer sauvagement en pleine lumière crue avec le rictus du moment d’éruption jubilatoire. Ah non !

L’Art du Suspense (Patricia Highsmith) Ce ce n’est pas un compendium de recettes pour mitonner un texte avec un suspense en lame de rasoir. L’auteure met en lumiere quelques règles fondamentales sur la base de ses propres expériences. C’est un livre qui allie candeur et réflexion critique de manière éclairante sur le processus de la création

« Qu’est ce que le germe d’une idée ? Probablement tout et n’importe quoi, pour l’écrivain : un enfant qui tombe sur le trottoir et répand son cornet de glace…certaines idées n’obéissent pas aux règles de la parthénogenèse, mais nécessitent une seconde idée pour se développer »

« En écrivant le premier jet, il faudrait toujours garder à l’esprit le livre comme un tout-que l’on voie ou non chacune de ses parties en détail du début a la fin »

Observations et autres notes anciennes (Philippe Jaccottet) Un très grand poète nous propose en mots une pièce montée á plusieurs étages.  Régal pour les amateurs de réflexions subtiles qui marient sagesse et poésie au long d’un modeste parcours de 130 pages. Le livre confirme, s’il en était besoin, que tout grand auteur est souvent aussi un grand lecteur. La voix personnelle de l’auteur est une polyphonie originale d’autres voix nourricières. Et la littérature est une conversation transgenerationnelle.

La Maison De Mots (Emmanuelle Ertel) Encore un texte (d’universitaire) qui fait le lien entre le lieu, le cadre et l’écriture. Entre topographie et typographie, y a des liens intimes qui prennent la force, presque déterminante, de causalité. L’œuvre du romancier William Gaddis donne á penser « les fantômes » qui hantent l’écriture.

La Mort du Grand écrivain (Henri Raczymow) Au départ le titre embarque dans l’indécidabilité : Mi-roman, mi récit journalistique. A la lecture, C’est un essai très lucide sur la condition de l’écrivain (tout court), et l’état des institutions gardiennes du prestige des lettres.

Feuilles Tombées (Vassili Rozanov) Ce n’est pas tant le nombre de pages (444pp), que la présentation matérielle du livre qui lui donne un aspect de trombe et de vague déferlante. La matière du texte est faite d’une étoffe très  touffue, mais qui n’intimide pas. Mélange d’aphorismes, de maximes, de réflexions saisissantes. Obsédé par les questions relevant de la Méthodologie de la Lecture, le texte m’en donne pour mes prétentions et mes grades ! Pas d’index ! Absence d’ordre alphabétique ! Un véritable saut-d’eau littéraire d’une ville de non-bonheur située sur la carte du réalisme-pessimiste. Le genre de livres qui ne sont pas faits pour les imberbes. Adolescents, s’abstenir ! Un livre de grandes ombres errantes : Socrate, l’Ecclésiaste, Nietzsche, Cioran (par anachronisme) et bien d’autres. C’est le genre de livre séculier qui permettrait de réécrire sur une ile  tous les livres perdus. Emaillé de réflexions qui éclatent avec la verdeur d’une repartie á la Clemenceau.

« Chtchédrine a coté de Gogol me fait l’effet d’un valet d’écurie á coté d’Alexandre de Macédoine. Oui Gogol est l’égal d’Alexandre de Macedoine »

Histoire de L’Homme que sa femme venait de quitter (Jean-Philippe Arrou-Vignod) Est-ce que l’impuissance d’écrire momentanément (que Gide a connu après une période de belle fécondité) peut être un thème de roman ? Lisez ce texte si vous avez des doutes, et si vous êtes entiché de fiction de l’écrivain aux prises avec ses ombres.

Gros Mots (Bejean Ducharme) Rassurez-vous c’est de la bonne littérature dans tous les sens du mot. La langue est savoureuse. L’humour chatouille à chaque coin de paragraphe, et nous arrache un p’tit gloussement de plaisir. L’histoire est farcie de clins d’œil qui visent juste au dessous de la ceinture. Mais ce qui fait le prix de ce texte, c’est la formidable connivence entre un texte trouvé comme par hasard et une vie de lecteur (un mensonge d’une vérité vraisemblable). Une beau sujet de méditation pour  l’auteur qui se demande á quoi sert un roman (ou faut-il qu’il serve a quelque chose ?)

Le Professeur de Symétrie (Andrei Bitov) Ce texte est un bel exemple de littérature qui prend l’écriture pour objet à travers la figure de l’écrivain insaisissable  dans sa face de Janus (sacristain et liftier). Rien n’interdit de penser, par ailleurs, à l’haïtienne, que la double identité ne soit un cas de marronnage symbolique. Assumer crânement (entre farce, mystification et fabulation) son coté marron est, peut être, une bonne préface á une carrière d’artiste ou d’écrivain.

La Férocité Littéraire (Jean-Marie Monod) Ecrivains ou lecteurs, lisez ce livre ! Ce n’est pas trop important pour la création littéraire, mais il envoie un vigoureux avertissement aux écrivains en herbe et un salutaire rappel aux écrivains confirmés quant á l’état de civilité qui prévaut dans la République des Lettres.

L’Illustre écrivain (Roger Peyrefitte).  Ce livre est, á bien des égards, le pendant romancé de La Férocité Littéraire.  Roger Peyrefitte, défenseur des « valeurs »d’Arcadie » est un auteur sulfureux qui exerce sur le lecteur le charme irrésistible d’un péché mignon  auquel succombent même les curés envers lesquels il lui arrivait souvent d’être si féroce. On imagine aisément certains ecclésiastiques allant jusqu’á cacher sous leur soutane une petite bombe Peyrefitte qu’on ne peut désamorcer même avec les plus virulentes dénonciations. Le diable peut loger au presbytère sous la forme de « Propos Secrets » de Peyrefitte. Ah ! Si l’évêque savait ! Des fois, il faut se pincer le nez pour respirer le fumet capiteux d’une  « sauce –Peyrefitte »concoctée dans des  « régions fiévreuses et mal nettoyées ».  Mais tout est à lire de ce digne héritier de Pétrone et de Voltaire qui accable de sarcasmes les puissants et les Tartuffe! En lui l’esprit gaulois règne de manière puissamment souveraine. Son érudition est époustouflante. Son œuvre en elle-même est une grande leçon d’écriture et de style. L’Illustre écrivain est un concentré du grand talent de cet homme de lettres dont l’Académie avait peur comme d’un méchant diable. A  Alain Peyrefitte, qui n’arrivait pas á la cheville de son « pestiféré » de cousin, la vieille dame du quai Conti avait préféré donner son baiser d’adoption. Roger Peyrefitte est de la race des Seigneurs de la Littérature auquel on revient pour leur esprit étourdissant. S’il est difficile de faire le partage entre la vérité et la fiction dans  L’illustre écrivain, c’est simplement parce que Peyrefitte aime s’avancer masqué quand il va raconter les périples et les exploits d’Alexandre  aux dieux de la Grèce. Et qu’il est dangereux de montrer à Priape qu’on l’a deviné. Sacré Coquin !

Assely Etienne, New York

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