Vera Marchand's Posts (3)

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   Tout le monde me prévient : « Les Second Graders sont assez turbulents ». Lorsque j’entre pour la première fois dans la classe de Second Grade, c’est le jour où les parents ont le droit d’assister à un cours. Ils restent sur les côtés pendant que Mme S. commence sa leçon. Nous sommes dans la phonétique et le titre du cours est « Une rentrée à l’école des hérons ». Il s’agit d’expliquer aux enfants la différence entre un « héro » et un « héron » à travers une histoire et des illustrations. Les enfants commencent par dessiner tous les super-héros qu’ils connaissent : Superman, Spiderman, etc…Mme S. en profite pour apporter des précisions sur les différences de prononciation entre anglais et français : [syperman] en Français, [sypermen] en Anglais.

A’ côté du tableau, un panneau  explique la méthode de traduction suggérée : l’enfant peut s’inspirer de la langue ou des langues qu’il connaît pour parvenir à reconstruire le sens d’un mot nouveau, par exemple à travers leur racine commune. La maîtresse veille à ce que les enfants répètent plusieurs fois le mot nouveau pour l’enregistrer. Elle les incite à établir des parallèles entre les vocabulaires anglais et français, mais n’exclue pas les autres langues connues par les enfants. 

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Elle continue en expliquant que le son [h] est muet en Français sauf dans [ch], [ph]. Si certains francophones connaissent déjà la différence entre un ‘héro’ et un ‘héron’, les autres la saisissent très rapidement. On s’attaque également aux nasales, en l’occurrence le phonème [on] que les enfants doivent insérer dans différents mots français et ensuite écrire correctement.

Sur les murs de la classe on retrouve, bien évidemment, l’alphabet dans les deux langues, français et anglais, respectivement en vert et en bleu, mais aussi d’autres éléments graphiques – affiches, illustrations - qui renvoient à la France et à la langue française - ou des étiquettes collées sur les étagères qui indiquent différents lieux de Paris, parmi lesquels je vois « Place du Trocadéro ». On y respire un air très français et une atmosphère sympathique.

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Les niveaux de français sont différents, donc la nécessité s’impose de disposer les élèves en petits groupes afin de rendre le niveau plus homogène.  Ce sont les « partenaires de français » : les groupes sont composés d’un francophone, d’un avancé et d’un intermédiaire.

La maîtresse me confie un petit groupe pour que je leur lise « Une rentrée à l’école des hérons ». Ils ont à disposition des mots découpés que j’étale par terre pour qu’ils puissent former des phrases. Ils s’inspirent des phrases qu’ils entendent à ma lecture et m’interrogent sur le vocabulaire. Le participe « rassuré » échappe à certain d’entre eux, par exemple. Un élève parfaitement francophone le connaît et l’explique spontanément aux autres.

Les enfants sont habitués à ce genre de situations. Elles se produisent constamment depuis le Kindergarden. Je remarque que les francophones se sentent en quelque sorte « in charge », responsables de la langue française. Mon élève francophone est arrivée de France il  y a un an. Elle parle déjà parfaitement anglais et donne un énorme élan de positivité à la classe. Depuis sa place dans la rangée des « sages », elle exerce une influence extrêmement positive sur les élèves qui ont tendance à se dissiper…

Francophones ou non-francophones, les enfants écoutent attentivement et  ne tardent  pas à comprendre le point fondamental de l’histoire que je leur ai racontée : les deux protagonistes se sont trompés d’école parce qu’ils ne savent pas épeler le mot « héron » correctement ! Voilà une stratégie amusante pour sensibiliser les enfants à l’importance de la phonétique.

En Second Grade on commence les mathématiques en français pour les continuer en anglais. La maîtresse écrit au tableau « Related Facts » avec sa traduction française, « Opérations liées ». « Que veut dire ‘liées’ ? », demande une élève. Mme S.  l’encourage à se servir des autres langues qu’elle connaît en indiquant toujours le panneau à côté du tableau qui suggère les méthodes de traduction possibles.

L’après-midi c’est anglais et on se consacre à la lecture de « Charlotte’s Web ». Evidemment, les quelques élèves « turbulents » refusent de sortir leurs livres...La maîtresse commence tout de même la lecture de l’avant-dernier chapitre. De nombreux enfants ont suivi en classe et à la maison, d’autres un peu moins, mais tout le monde à l’air de connaître l’histoire. Je m’assois à côté du petit R., le leader du groupe des turbulents. Je parviens à le convaincre à ouvrir son livre. Je le questionne sur ses lectures préférées. Il me dit qu’il a d’autres préférences en matière de récits pour enfants, comme la vie des dragons, par exemple, et que cette histoire du petit cochon ne l’enthousiasme pas du tout. Je lui dis que c’est tout à fait légitime de ne pas aimer le petit cochon mais je lui rappelle qu’il n’est pas le seul dans la classe et que ses amis doivent pouvoir suivre tranquillement. Ce n’est pas facile de le convaincre à rester assis, mais il accepte de s’engager dans une conversation avec moi. Je lui demande alors s’il aime bien Harry Potter. Et là, il devient très sérieux. Il s’assied et interrompt la bataille. « Á votre avis, est-ce qu’il est mieux de lire avant les livres ou de voir avant les films ? », me lance-t-il en me surprenant. Je lui réponds que pour moi il vaut mieux lire les livres d’abord. Il m’explique pourquoi il n’est pas d’accord : grâce à la vision du film sur Harry Potter il a pu entendre la prononciation correcte de beaucoup de noms propres, comme « Hermione », par exemple. Sa réflexion et sa manière d’argumenter m’impressionnent. Il demande d’abord mon opinion pour ensuite construire la sienne sur ce que je viens de dire.

Entretemps, la maîtresse a terminé de lire Charlotte’s Web. C’est le moment consacré aux interventions des élèves. Le débat aujourd’hui est centré sur la fin de l’ histoire. Les questions des enfants sont très pointues. « Pourquoi l’avant dernier chapitre a pour titre « the end », alors que ce n’est pas encore la fin ? ». Ils ont beaucoup d’idées et les développent avec enthousiasme au cours du débat.  A la surprise générale, R. lève sa main pour intervenir : « Je pense que le titre ‘la fin’ se réfère à la mort de Charlotte. Cela est d’autant plus logique puisqu’il ne peut jamais il y avoir deux épilogues dans le même livre. »  J’ai bien entendu, « épilogue ».

 

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3438654142?profile=original          L orsque j’entre le lundi matin dans la classe de First Grade, les enfants sont assis impeccablement, plongés dans la lecture d’histoires en anglais. Ils sont très tranquilles et vont s’aider mutuellement à préparer leurs affaires pour le cours. Sur les murs de la classe de First Grade - comme dans toutes les autres – on peut observer un alphabet français et un alphabet anglais, l’un au-dessus de l’autre. Les alphabets sont respectivement en vert et en bleu, les mêmes couleurs utilisées en Kindergarden pour distinguer les deux langues. Les règles de la classe sont également affichées dans les deux langues, en traduction.

Share/partagez – keep your hands for yourself/gardez vos mains pour vous ; Aidez à ranger/Help Clean Up ; Ecoutez/Listen ; Be a friend/ Soyez un Ami ; Marchez, Ne Courez Pas / Walk, Don’t Run.

Les enfants commencent leur premier exercice du matin : souligner les voyelles. J’ai assisté à leur cours sur les voyelles en Kindergarden en français, je les vois maintenant les mettre en pratique en First Grade. Les enfants sont ainsi habitués à jongler entre les deux langues en permanence : alphabet en anglais / voyelles en anglais, alphabet en français / voyelles en français. En Kindergarden, Madame S. les avait prévenus des différences entre les deux alphabets. Les voyelles anglaises sont A, E, I, O, U – comme en français – et Y mais seulement parfois. « Pourquoi seulement parfois ? » avait demandé M. étonnée. « Vous y reviendrez », l’avait rassurée Mme S.

Grâce aux « Phonic Workbooks » et aux « Cahiers de sons de Kimamila » en français, les enfants apprennent à reconnaître les signes de l’API et à tracer les lettres correspondantes tout en associant les mots aux images. Il s’agit d’un exercice qu’ils entreprennent déjà en Kindergarden et qu’ils continuent en First Grade.  Je les regarde pendant qu’ils apprennent à écrire le phonème [ai] dans différents mots : « maison », « saison », « lait ».

Le matin est habituellement réservé au français, l’après-midi, à l’anglais et surtout aux maths. Les tests envoyés par l’Etat de New York accordent une place importante aux mathématiques donc il faut s’y mettre. Les maths méritent un discours à part puisque elles sont enseignées à la fois en anglais et en français. Plus précisément, le texte de référence est en anglais, mais le professeur veille à traduire les opérations et à insérer des expressions françaises lors de la correction des exercices au tableau. Par ex. l’expression « Ten more than 44 » est traduite par « 10 de plus que 44 » et les enfants apprennent à nommer les soustractions et les additions dans les deux langues. La date s’écrit rigoureusement, tous les matins, en français : « Nous sommes le 44ème jour d’école », dit M. R.

La première partie de la matinée est réservée à l’ « Independent Reading ». Les enfants choisissent un livre qui les intéresse et consacrent un moment de la matinée à la « lecture indépendante ». Il s’agit d’un choix libre qui concerne et le livre et l’endroit où se consacrer à sa lecture, sans contraintes. Cela leur donne une opportunité de découvrir tous seuls de nouveaux livres. Ils sont également encouragés à lire en français à travers des livres on-line qu’ils consultent à la maison, à différents niveaux, sur la plateforme Raz-Kids.

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J’observe ces modèles pédagogiques avec beaucoup d’intérêt, persuadée qu’il s’intègrent très bien dans une éducation bilingue. C’est le cas de la « Visual Thinking Strategy », une stratégie d’éducation visuelle qui naît d’une intuition développée au sein du Museum of Modern Art de New York. Elle concerne les images et la façon de les appréhender. Savons-nous vraiment « regarder » ? La Visual Thinking Strategy repose sur des discussions ouvertes mais très structurées. Elle s’articule autour de trois questions :

What’s going on in this picture?

What do you see that makes you say that?

What more can you find?

A’ travers l’image, les enseignants aident les élèves à développer leur capacité critique et leur expression orale. J’assiste à une session de VTS en anglais en First Grade. Il s’agit d’un petit test individuel. Trois enfants sont assis l’un après l’autre devant une image projetée sur le tableau par un ordinateur : un homme à cheval dans une rue de New York.

Il est intéressant de constater comment les enfants réagissent de manière très différente. Certains ne voient au début que des éléments très simples (homme, cheval, rue) pour ensuite mieux se concentrer en ajoutant des détails. D’autres partent directement dans une description détaillée de la race du cheval, de l’état d’âme de l’homme, des magasins, du temps qu’il fait, de la température. L’échange entre les enfants est très productif et permet de développer la capacité de chacun d’exprimer son point de vue. Je constaterai, par la suite, que les Visual Thinking Strategies sont adorées par les élèves de Second Grade qui se consacrent à des débats vifs et mêmes très complexes à propos des images proposées. L’habitude des enfants à engager des débats très structurés doit sûrement être un fruit de cette pratique.

Au sein du Dual Language Program, certaines stratégies éducatives sont utilisées pour activer chez les enfants le mécanisme du changement de registre, le passage d’une langue à l’autre, sans que les enfants ne s’y attendent vraiment. Chanter est un des moyens utilisés. Les enfants enregistrent des expressions typiquement françaises sans même s’en rendre compte. D’autres exercices portent sur la répétition constante des mêmes expressions : « Je suis… » ou « J’aime… ».

Pour les activités de classe les élèves sont divisés en petits groupes. On retrouvera cela en Second Grade où les groupes reflètent les différents niveaux de français. Une différentiation implicite se fait, en outre, lors de certains exercices, comme lorsque M. R. les invite à décrire leur qualités. Les enfants sont libres de s’exprimer dans la langue qui leur est la plus familière. Les non-francophones dans un premier temps peuvent écrire en anglais. Ils sont ensuite aidés par le professeur dans la traduction et amenés à s’exprimer en français. Leurs phrases en français sont imprimées et découpées pour qu’ils puissent faire un collage en remettant les mots dans le bon ordre. Ainsi, ils écrivent : « Je suis une bonne skateuse », « Je suis un acteur » ou « Je suis un bon dessinateur ».  

Sur les 21 élèves de la classe de First Grade, 8 ont au moins un parent francophone. Deux tiers des enfants sont hispanophones mais il y a également quelques enfants d’origine italienne ou polonaise. Les enfants provenant du système français s’adaptent très vite au DLP, me confirme M. R. grâce à l’efficacité du programme mais aussi grâce à l’interaction entre les élèves. Un petit décalage se crée entre les élèves anglophones qui ont déjà appris à lire en Kindergarden et les élèves francophones pour qui la lecture commence en CP. Ce qui, dans ce jeu d’alternance constant, n’est pas nécessairement un mal. Un enfant anglophone issu d’une année de Kindergarden dans le Dual Language Program, sait lire en français avant les francophones mais les francophones pratiquant le français à la maison disposent de tous les instruments pour récupérer très vite. Cela a plutôt l’effet positif de déclencher des mécanismes de solidarité et une attitude de coopération entre les enfants.  Un moteur clé pour la réussite du Dual Language Program.

Je le remarque en observant l’interaction entre les enfants. G., un français qui vient d’arriver à New York et U., un enfant qui est déjà parfaitement bilingue sont assis à côté de moi. G. me dit : « Ma maman m’a expliqué que quand il y en a plus d’un, alors il faut mettre un ‘s’ ». Je lui réponds : « Bravo ! Tu sais que c’est comme ça en anglais  mais aussi en français ? » (sauf exceptions, je pense sans le dire). U. intervient : « C’est comme ça en Espagnol aussi ! ». Je suis étonnée par la rapidité avec laquelle ces enfants sont capables de faire des parallèles entre les langues. Je lui demande à U*** s’il connaît bien l’Espagnol. « Oui, je vais à l’école d’Espagnol après ça. Je suis français, anglais et espagnol ». G., de son côté, tient alors à préciser qu’il sait compter en Anglais, Français et en Italien jusqu’à 40. U dit savoir compter jusqu’à 50… Voilà encore un petit ‘fight’ sur les compétences linguistiques.

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3438653648?profile=original     J'arrive à Brooklyn, à PS 110, un lundi matin à 8 heures, sous un soleil magnifique. Je marche sur Driggs Avenue pour rejoindre la Monitor School et demande des indications à une agent de police. Elle me dit d’aller tout droit, jusqu’au bâtiment rouge, en face du parc. J’arrive à temps pour assister à la Cérémonie du drapeau qui a lieu tous les matins : un petit enfant brandissant solennellement un drapeau américain se promène dans une salle jusqu’au couloir principal en chantant. Il semble investi d’une grande responsabilité. La directrice m’explique comment va se dérouler mon travail d’ « observation participative ». Elle me donne la possibilité de suivre progressivement les différents grades, du Kindergarden jusqu’au Third grade, dans les classes qui ont adopté le Dual Language Program.

      Je commence par la classe de Kindergarden composée de 25 élèves de 5 ans et suivie par Madame S. Ils m’observent tous d’un air curieux. Qui est donc cette jeune fille que la directrice a envoyée dans notre classe ? Trop tard pour se poser des questions, c’est les 50 minutes d’Italien. On monte les escaliers. La maîtresse d’italien m’accueille chaleureusement avant de disposer les enfants autour des tables pour que le cours commence. Aujourd’hui, c’est le vocabulaire concernant le visage : « la faccia », « la bocca », « le orecchie », « il naso », « i capelli ». Tout le monde répète en faisant des gestes et en chantant. Ils ne regardent plus leur feuille, ils apprennent vite. Un homme entre avec un gros chariot et un immense tapis. Il faut l’installer et s’assoir dessus avec les feuilles que la maîtresse a distribuées. La consigne est simple. Il y a un cercle et les enfants doivent y dessiner les différentes parties du visage. La maîtresse fait un modèle au tableau en dessinant une belle bouche, de grandes oreilles, des cheveux en bataille et un nez. Tout le monde se met à sa propre création. Au bout de 5 minutes, certains enfants semblent déjà satisfaits de leur travail et me montrent leur feuille au cri de : « Look, I’m done. » Il y en a qui ont voulu y ajouter leur propre touche : un cou et même des boucles d’oreilles.

       Le cours d’italien est terminé, Mme S. est déjà là et on repasse au français. Vite, vite, vite car aujourd’hui ce n’est pas un jour comme les autres : c’est le jour où l’on investit le « Leader of the Month », le leader du mois. J’ai l’honneur d’accompagner Monsieur et Mademoiselle « Leader of the Month » à la cantine où ces membres honoraires prendront un lunch avec la Directrice en personne. Ils recevront également un livre : « American Poets ». C’est une très grande émotion pour I. et E. : les deux élèves qui se sont le plus appliqués ce mois-ci. Ils ont atteint leur plus grand « goal », celui d’être leader. Mme S. les félicite devant la classe. 

       Aussitôt, on se rassied sur le tapis et on commence par des exercices de « discrimination visuelle » dont la consigne est en français. Le topic du jour est le « foliage ». Observer et dessiner. Madame S. m’explique qu’il est suggéré par l’Etat de New York. Les enfants colorient les feuilles, les trient et les collectent selon leur forme. Ensuite, ils passent à un exercice de ‘graphisme’ en complétant les feuilles coupées à moitié suivant leur symétrie. Cela leur permet d’exercer leur trait tout en apprenant du vocabulaire. En effet, devant la consigne « Dessinez les feuilles qui tourbillonnent », beaucoup d’enfants me demandent une traduction du verbe « tourbillonner » en anglais. Je leur explique que les feuilles font un trajet de l’arbre au sol et que, dans ce trajet, elles ‘dansent’. Un enfant s’écrie « whirling ». Je leur dit d’interpréter comme ils le veulent. Ils dessinent donc les feuilles et le vent, par des traits ou des flèches, tout en répétant « t-o-u-u-u-r-b-i-l-l-o-n-n-e-n-t». Ils prennent ça comme un jeu mais en devinent le but caché, le vrai « goal ». Même si beaucoup d’entre eux ne connaissaient pas du tout le verbe français, ils semblent fiers de pouvoir maintenant le prononcer pour la première fois.    

       J’en profite pour observer les murs de la classe : les alphabets y sont affichés dans les deux langues. Un mur en anglais, l’autre en français. La distinction visuelle entre les deux langues est un point fondamental, m’explique Madame S. L’anglais est toujours en bleu et cela continue dans les grades suivants. Sur les murs aux couleurs vives, on distingue une liste des noms et prénoms, un tableau des « points de tables », une liste des pays francophones et un panneau qui énonce une série de règles de conduite destinées aux écoliers. Il s’agit des « 7 habits », des 7 comportements à adopter :

Be proactive ; 2) Begin with the end in mind ; 3) Put first things first; 4) Think win-win ; 5) Seek first to understand, then to be understood ; 6) Synergize ; 7) Sharpen the Saw.

      Les élèves sont constamment encouragés à mieux faire dans le respect mutuel. Des phrases telles « Begin with the end in mind » ou « Put first things first » révèlent une volonté de se fixer toujours un but. Ces 7 habits répondent à une mission bien précise que l’on retrouve affichée un peu partout dans les couloirs de l’école :

« It is important to be proactive in our learning and thinking win-win so that we can get a great education, graduate, and have a career that we love. We are always thinking with the end in mind. We also come to school to synergize so that we can help ourselves and others ».

      L’objectif du Dual Language Program est d’acquérir une compétence et, à terme, une maîtrise des deux langues et les enfants semblent être conscients de l’importance de cette tâche. Dès les premiers jours, beaucoup d’élèves se présentent spontanément à moi pour me dire quelles langues ils parlent à la maison : français, anglais, espagnol ou polonais. Leur propre positionnement par rapport à la langue française donne lieu à des petites discussions, des 'little fights', sur leur niveau de compétence, une rivalité qui reste « saine », jamais agressive. Deux petites filles m’expliquent : «moi,  je suis française » (élève qui a grandi aux Etats-Unis avec un parent francophone) / «moi,  je suis plus française qu’elle » (élève qui vient d’arriver de France). Les enfants semblent comprendre qu’ils ont un avantage par rapport aux autres,. La diversité linguistique leur est présentée comme un atout dès le Kindergarden. Madame S. explique aux enfants à propos d’une consigne : « Elle est en anglais, elle vient de l’Etat de New-York. Ils ne connaissent pas le français, eux ».

Les enfants manifestent une sensibilité linguistique surprenante pour leur âge, comme l’illustre ce petit épisode qui surviendra quelques jours plus tard.

      Vers 12 :15, le « Fire Alarm » commence à retentir dans l’école. Il s’agit d’un entraînement. Madame S. donne des indications aux enfants pour qu’ils se mettent en rang sans faire de bruit. Ils ont l’air de se demander ce qui se passe mais ils exécutent sans broncher. Le chef de file est investi d’une grande responsabilité. Ils sont quand même un peu excités par cette activité inusuelle. Je les suis tranquillement en fermant la file. A ce moment-là, le petit M**** se retourne et me communique triomphalement : « My father speaks french. A lot. » (« Mon père parle français. Beaucoup »).

     Je suis tellement surprise par cette affirmation que je m’arrête net. Je commence à réfléchir. Est-ce que le petit M*** est au courant de ma recherche ? Pourtant, j’ai l’air d’une assistante comme les autres. De plus, je suis certaine de n’avoir rien dit devant la classe et je ne pense vraiment pas que quelqu’un ait eu l’idée d’expliquer à un enfant de 5 ans ce qu’est un mémoire sur l’éducation bilingue.

Ensuite, je me souviens que le premier jour que je suis arrivée à la Monitor School, M**** s’était approché de moi et spontanément m’avait informé: « We speak french in the morning and English in the afternoon ». Et j’étais arrivée à PS 110 depuis dix minutes à peine. 

      Je serai surprise, par la suite, par d’autres affirmations spontanées comme celle du petit M****. Les enfants sont venus volontiers me raconter la composition linguistique de leur famille : « Ma mère parle aussi l’espagnol. Moi je le comprends mais je ne le parle pas. Ma « nanny » est espagnole. » Lorsque M**** m’expose la composition linguistique de sa famille, elle commence par distinguer entre langues actives et passives. Je me dis que c’est prodigieux qu’une enfant de cinq ans distingue entre langue active et passive !

    J’observe un autre panneau sur le mur de la classe, en forme de fleur. Il énonce une série de règles, cette fois-ci en français : se ranger, respect, entraide, soigner son travail, responsabilité, prise de parole, rangement, écouter les consignes.

« Tout le monde a un boulot ». C’est le titre d’un autre panneau qui désigne, toujours en français,  la répartition des rôles entre les enfants  -   « chef de rangs »,  « responsable des chaises » ou  « bibliothécaire » - qui changent chaque semaine.

Le concept de ‘leadership’, qui recouvre à la fois le sens de la responsabilité et la possibilité de se distinguer, est un moteur important pour le développement de la personnalité des enfants à l’école. Ce concept est appliqué aux différentes tâches qui accompagnent la vie de classe. Il y a ainsi un « Library Leader » et un  « Lunch Room Leader », autrement dit les responsables 3438653859?profile=originalde la bibliothèque et de la cantine. Les petits écoliers apprennent ainsi, progressivement, à assumer de petites responsabilités, telles les « morning responsibilities » comme le  « Paper passer », celui qui distribue les copies aux autres élèves.

Le modèle de « leadership » semble avoir une forte fonction éducative. Il revient constamment sur les parois de l’école,  afin que les enfants puissent bien le visualiser. « The leader in me » est une devise que l’on retrouve sur la porte du secrétariat,  celle du bureau de la Directrice. C’est également la première phrase que les enfants voient en entrant à l’école.

Il y a des « Leaders » à l’intérieur de chaque classe - comme nous l’avons vu - mais aussi des classes « Leaders » pour la récolte des fonds alimentaires destinés à l’armée. Sans compter les systèmes de points de table, les « récompenses de classe » et la possibilité pour les élèves d’accumuler des étoiles. Les « stars students » sont ceux qui ont le plus travaillé.

       Ce modèle, appliqué dans de nombreuses écoles publiques américaines,  aurait pour fonction d’améliorer et de renforcer l’efficacité de tous les autres programmes mis en place. Quel meilleur ‘booster’ pour les programmes bilingues ? La connaissance de plusieurs langues étant déjà, dans un monde globalisé, un élément moteur pour une leadership présente… et future.

          Plus généralement, le Dual Language Program fonctionne à travers un système de renvois.  L’alternance des mêmes thématiques ou « topics », pour le dire à l’anglaise, est à la base de la philosophie de PS 110. Les enseignants se consultent et échangent en permanence, entre grades, mais aussi entre différentes langues. Si une typologie d’exercice est abordée en Kindergarden, elle sera continuée en First Grade. Les enseignants  discutent en permanence de la méthode et des différentes approches à adopter. Il y a bien sûr des réunions scolaires régulières, mais il est fréquent que les enseignants se consultent de façon indépendante. L’apprentissage procède par acquisitions progressives et par l’intégration des connaissances. Les enfants suivent des thématiques différentes chaque jour. Il s’agit d’un équilibre délicat, d’un savant dosage des compétences. En quelque sorte, d’un laboratoire. L’approche pédagogique américaine et l’approche française ne s’excluent pas l’une l’autre. Elles entretiennent un rapport constant et enrichissant. Madame S. m’explique : « En fait, il n’existe pas des livres spécifiques pour les enfants bilingues».

           Il faut être créatifs, utiliser tous les supports à disposition. On intègre donc des textes en anglais, des textes de maternelle en français et des textes destinés aux enfants anglais qui apprennent le français. J’entrevois, sur les étagères, des livres dans la Collection « I can read French » : « Hurry up, Molly / Dépêche-toi Molly ». Il s’agit de « Language Learning Story Books ». Il y a également des livres en édition « Scholastic » venant du Canada. Les enfants ont une liste et peuvent choisir quelques livres pour leur « lecture indépendante ». Je reviendrai plus tard, avec M. R., sur cette activité qui débute en Kindergarden et aura une place très importante en First Grade.

3438654005?profile=originalMadame S. m’explique qu’elle se réfère pour sa pédagogie en même temps à des livres français et anglais pour rejoindre le « Common Core », le tronc commun des compétences des écoles publiques de la ville de New York. Et ce « Common Core », il faut le suivre. Les tests que les élèves passent une fois par mois sont en anglais. C’est les mêmes pour toutes les écoles publiques de New York.

L’enseignement de la phonétique se déroule dans les deux langues. On chante par exemple une chanson contenant le mot « gâteau », en suite on prononce le phonème [g] trois fois en faisant des gestes. Ça leur permet d’apprendre tout en s’amusant.

Ces mêmes phonèmes qui sont appris en français, seront appris en anglais, à l’écrit cette fois-ci, à travers le « Phonic Workbook » qui existe pour le Kindergarden et pour le First Grade.

Sur le placard, les voyelles sont affichées en français, elles seront affichées en anglais dans la classe de First Grade.

      Les enfants ne répètent presque jamais les mêmes exercices. La variation est un élément fondamental du Dual Language Program et donc dans le choix de la séqu3438654114?profile=originalence des exercices, tout comme la flexibilité. Les enfants ne doivent jamais s’ennuyer. Des dénominations créatives sont inventées pour qu'ils suivent les mécanismes du DLP: « Upside-down day », lorsque l’ordre français/anglais est inversé.

« Francophones, allez à votre table et aidez ceux qui n’ont pas compris », s’exclame Madame S. après avoir expliqué la consigne d’un exercice. L’entraide est très importante dans le DLP. Certains élèves sont nés aux Etats-Unis de parents francophones. Ils arrivent donc à lire en français avant les autres. L’enseignant veille à ce que l’élève se sente fier de ses progrès. Il est félicité devant toute la classe pour encourager les autres à faire de même. C’est ce qui arrive avec le petit L****. Madame S. me dit qu’il est prêt à lire en français. Je lui fais lire alors l’histoire du Père Noël et L* est de plus en plus excité. Une fois que le livre est terminé je l’accompagne chez Madame S. en lui communiquant la nouvelle. Il est extrêmement fier. Une fois terminée l’évaluation de maths, Madame S. le fait lever L**** du tapis et annonce à toute la classe : « L**** sait lire en français maintenant. Il peut déjà lire en français ET en anglais »...

                 

par Vera Marchand

Journal de bord d'une observatrice de classes bilingues ~ Chapitre 1 ~ la classe de Kindergarten

30 janvier 2015

A propos de ce texte :

Dans le cadre de mon mémoire universitaire, consacré à l'éducation bilingue, j'ai effectué, au mois de novembre 2014, un stage d’immersion quotidienne dans plusieurs classes de la Monitor School de Brooklyn qui appliquent depuis plusieurs années le  Dual Language Program. Ce stage « d’observation participative » m'a permis d’évaluer dans la pratique les dispositifs pédagogiques qui sont au cœur du DLP.

Grâce à la disponibilité du proviseur et des enseignants de la Monitor School de Brooklyn,  j'ai pu participer activement à la vie de classe. L'objectif étant de mieux connaître les mécanismes qui sont à la base du Dual Language Program ainsi que d'évaluer les dynamiques d'interaction entre enseignants et enfants.

Parallèlement à mon travail de recherche universitaire, j'ai tenu une sorte de "Journal de bord" sur cette expérience extraordinaire, dont l'objectif premier a été de restituer dans leur spontanéité les réactions des enfants en situation d'apprentissage.

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