Au fur et à mesure que ma passion pour le Québec se fait sentir, on me demande de plus en plus d’expliquer le comment et le pourquoi du coup de foudre que j’ai eu pour cette province. Je ne suis ni québécois de naissance, ni ne le suis-je d’origine, et je n’y ai jamais vécu. Certes, j’ai quelques parents qui vivent à Montréal, à Laval, et à d’autres lieux qui si trouvent sur le terrain québécois, et il m’arrive de pouvoir leur rendre visite de temps en temps. Mais en dehors de ces liens plutôt éloignés, j’avoue qu’en tant que new-yorkais, on s’attendrait peut-être à ce que je fasse de mon attirance pour la francophonie une francophilie plutôt qu’une « québécophilie ».
Pourtant, sur le plan identitaire, je ressens quelque chose de profond pour La Belle Province. On dirait une sorte de congruence d’héritage, comme si le Québec était un frère jumeau retrouvé que j’avais perdu de vue depuis longtemps. Je suis haïtien d’origine et né aux États-Unis d’Amérique. C’est dire déjà que je suis coincé entre deux cultures. Mon expérience de mon pays de naissance s’est toujours caractérisée, entre autres, par l’affrontement des forces opposées : le conflit des races, le choc des cultures, la lutte des classes, les enjeux des immigrés, le bi-, ou trilinguisme et la question des langues maternelles, et ainsi de suite. Comme j’ai exprimé dans un article précédent, le français est une langue que j’ai regagnée afin de combler une lacune culturelle dans mon for intérieur. Elle m’a permis de mieux connaître ma famille élargie aussi bien que de me distinguer comme américain, voire comme noir-américain, par le fait que je parle une langue assez difficile à maîtriser, surtout pour la .En tant qu’américain francophone, mon intérêt pour le Québec ne devrait point étonner. Par ailleurs, en lisant l’histoire du Québec et à mesure que j’apprends sur la société québécoise, je me rends compte jusqu’à quel point mon expérience d’haïtien-américain reflète le trajet historico-culturel des confrères francophones du Nord. Les québécois sont une minorité linguistique du Canada. Un peuple dont les aïeux français du 17ème siècle s’implantèrent dans la terre amérindienne de l’Amérique. Un peuple qui, par la suite, connaît une histoire plutôt difficile, de façon qu’il doive passer de main en main sous le contrôle de toute une série de colonisateurs qui comprennent la France, L’Angleterre et, de nos jours selon quelques uns, les canadiens anglophones et les américains. Ce statut de minorité va modeler la culture québécoise de manière assez particulière. Voilà pourquoi le Québec, suite à plus d’un siècle d’oppression, de domination et de subjugation aux mains des anglais, deviendra le seul territoire sur le sol américain où le français est la langue officielle ainsi que la langue de la majorité de son peuple. C’est pourquoi l’avènement de la Révolution Tranquille mettra en place, entre autres choses, des lois protégeant cette langue. C’est pourquoi la gamme d’accents qui développera dans l’enceinte de la terre québécoise prendra des caractéristiques aussi bien charmantes qu’informatives dans la mesure où elles vont raconter une histoire qui débute dans l’ancienne France, subit une évolution qui comprend une résistance acharnée contre les colons anglais du 18ème au 20ème siècle, cependant ratant les transformations linguistiques qui se produisirent en France suite à la Révolution Française, et perdurant jusqu’à nos jours grâce, parmi tant d’autres choses, aux répercussions de la Révolution Tranquille.Je me reconnais dans cette histoire. Le français est une de mes trois langues maternelles ; mon père voulait tellement que j’apprenne cette langue car elle a toujours été un signe de culture et d’érudition chez les haïtiens. À l’âge de 6 ans, mes enseignantes américaines à l’école expliquent à mon père que le fait de parler français et créole chez nous m’empêchait de m’améliorer en anglais, ce qui, selon elles, finira par entraver ma capacité de réussir. Alors mon papa, ne voulant que le meilleur pour son fils, suit leurs conseils, et le français ne fera plus partie de mon quotidien jusqu’en secondaire, où j’aurai ma première occasion de réapprendre le français. Grâce à des efforts acharnés au fil des années, je suis arrivé au point de lire, écrire et parler couramment cette langue sans jamais avoir vécu dans un pays francophone. Pour ce qui est de l’expérience d’être une minorité, il suffit de dire que je le suis sur plusieurs plans : racial, culturel, linguistique et autres. Il en résulte que mon expérience d’américain qui n’est pas très américaniste m’a forcé à subir toute une série de problématiques identitaires.Quoique le Québec subisse un questionnement d’identité propre à lui, sujet abordé de manière brillante et très éclaircissante par Joseph Facal dans son ouvrage Quelque Chose Comme Un Grand Peuple, l’ironie est que le Québec, ou plutôt la , résout élégamment le dilemme existentiel qui me fut imposé quand j’ai dû faire face à ma francité comme haïtien francophone, mon américanité comme new-yorkais de toute une vie, et l’épreuve incontournable de minorité ethnique parmi les noir-américains et de minorité raciale parmi les blanc-américains. Je veux dire par l’ensemble de faits sociolinguistiques, historiques et culturels qui font du peuple québécois un peuple unique au sein de L’Amérique du Nord. Enfin, bien que mon lieu de naissance ne soit pas québécois, je me dis dorénavant québécois de cœur car je suis, comme tout québécois, un nord-américain francophone tombé amoureux de cette Belle Province.
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