La Guerre des aura-t-elle (encore) lieu ?
Entrons dans le vif du sujet. Les thèses développées par Elisabeth Badinter dans son livre : , qui vient de sortir aux États-Unis, ne prendront pas dans ce pays-là. C’est un livre à charge, selon lequel les pratiques actuelles des mères américaines remettraient en question les acquis du féminisme. Une des leaders actuelles du féminisme français viendrait donner des leçons aux américaines...
La Guerre des n’a pas lieu d’être car les perspectives sont irrémédiablement irréconciliables. Critiquer la mère américaine en se fondant sans même s’en rendre compte sur des canons culturels français, comme le fait Elisabeth Badinter, est voué à l’échec aux États-Unis.
Bien entendu, dénoncer l’allaitement à la demande, prôné par la ou les théoriciens du lien, du n'aidera pas à défendre ses idées en Amérique. Ainsi, faudra-t-il s’attendre aux habituels malentendus entre nos deux pays alors que les causes sont à décrypter bien en amont pour des raisons profondément culturelles.
Parallèlement à la parution du livre d’Elisabeth Badinter en Amérique, la prochaine édition américaine de déclenche déjà une polémique en France. Les Françaises lui reprochent d’afficher en page de couverture l’image provocatrice d’une femme allaitant son enfant, visiblement trop grand. Nous verrons en quoi cela relève chez nous d’une grande méconnaissance, voire d’une myopie culturelle. Ces deux exemples démontrent en quoi il est vain d’analyser une autre culture en partant uniquement de la sienne propre. C’est dresser Brazelton, Dr. Spock, Sears, d’une part contre Pernoud, Dolto, Rufo, d’autre part. On comprendra bien entendu au passage que le féminisme est aussi culturel.
Les bi-culturels, que j’appelle seront capables de décrypter ce chassé-croisé et d’en désarmorcer les conflits qui n’ont pas lieu d’être.
Culture contre culture
C’est une évidence : la culture française est une culture de la fusion, du lien, de la liaison et de l’appartenance. La culture américaine quant à elle est une culture de la séparation, de la solitude et de l’individuation. Culture contre .
La femme américaine présente certes plusieurs visages selon la catégorie qu’elle incarne et l’étiquette qu’elle endosse : voire , etc... Quelle que soit son activité, elle sera experte et extrêmement professionnelle. Elle lira tout sur le sujet, et fera tout , y compris quand elle choisit d’élever ses enfants, pour être une mère à temps plein par choix. Faisant appel à un mode d’emploi, un () On remarquera un point commun à toutes ces variantes de femmes : une formidable organisation de la vie segmentée en : etc... La quintessence de l’Américaine est la somme de toutes ses activités. Dans une culture explicite, il faut attribuer au temps qui passe une case, comme dans un tableau , et “meubler” cet espace. Le vide est insupportable. Plus elle fait de choses, meilleure elle est. Peu de place au hasard, à l’intuition, à l’improvisation.
La Française – polychrone – elle, n’est pas dans la séparation. Elle ne se résume pas à la somme de ses activités. Elle “est” femme partout et “tout court”. Elle maintient le flou dans le tryptique - femme, mère, professionnelle. Son fil conducteur, c’est son Être et non la concaténation des stades et des activités de sa vie, . Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit pas dans l’action, mais elle ne segmente pas sa vie en compartiments étanches. Elle est dans la porosité, les vases communicants, l’infusion de tout “cela”.
Dans la culture française, implicite, le non-dit en dit long. Alors qu’en Amérique, et tout y est explicitement
Chaque culture étant duale, elle offre un spectacle sur scène, qui est une inversion de ce qui se passe en coulisses, .
Ainsi l’Américaine -- monochrone -- choisit d’être une (à l’exemple d’une qui a mis sa carrière en avant et sa maternité au deuxième plan, ), Non seulement elle le sera à fond, mais elle sera même encouragée à l’être ! Sinon, elle serait dilettante ou . Appartenant d’emblée à une culture-téflon, , la femme américaine compensera en affichant visiblement un . C’est le courant actuel dit d’ prôné par Bill Sears, qui fait tant bondir en France comme la polémique de la couverture de nous l’indique.
La juxtaposition d’individus nomades est déjà soulignée par Chateaubriand, dès 1830, dans ses il nous parle de la famille américaine en ces termes :
L’oisillon étant appelé à quitter le nid très vite, la mère américaine ne peut s’éterniser en tant que “mère-poule”. Alors couvera-t-elle excessivement ses en devenant une . En bref, actuel est l’équivalent moderne du du XIXème siècle, qui comble l’absence d’attachement naturel à une culture qui prône la séparation, le sevrage, le nomadisme. C’est donc un trompe-l’œil. Le est d’autant plus encouragé outre-Atlantique qu’il n’est là que pour la forme. Ne nous y trompons pas. Les Françaises s’indignant de la couverture de n’ont pas le code culturel nécessaire et font donc un contresens en utilisant leur grille de lecture française.
CDD ou CDI ?
Vivant dans une culture d’addiction, l’Américaine forcera la dose. C’est de l’ordre du tout ou rien, Alors ce sera tout. C’est précisément parce que la mère américaine n’est pas dans la fusion qu’elle devra tout faire dans l’excès pour sembler l’être. Cela explique le “co-dodo” ou l’allaitement , le long , et le lent le flux tendu, ! Pour se donner bonne conscience, elle sera mère à plein temps. C’est ce que j’appelle être à l’instar de qui doit être Le cap des est encouragé comme une preuve d’un caractère affirmé signifiant que désormais, il est un électron libre. On lui trouvera ensuite un et on le mettra sous ! En France, la crise des deux ans, n’existe pas. On s’évertuera à corriger l’enfant désobéissant qui voudrait n’en faire “qu’à sa tête”, comme s’il devait en faire à la tête des autres...
Le protestantisme ayant horizontalisé la société américaine, donne à chacun, , indifférencié, un rôle indépendant de son sexe : s’applique alors aussi bien à un homme qu’à une femme. L’Américaine qui devient maman va alors s’emparer du rôle normé de , tel un CDD, en incarnant pleinement la notion de . Dans un pays pourtant prude, elle allaitera en public, au travail, etc..., ce qui sera politiquement correct car la lactation n’est ici qu’une fonction et le sein n'est plus sexuellement connoté. La fonction de va alors s’emboîter et primer sur la conscience de femme. C’est de plein gré que la femelle américaine accepte d’être une vache laitière
La mère française n’est pas non plus à l’abri des excès de zèle. La culture française , féminine, maternante et donc attachante, lui impose de marquer symboliquement des séparations, de sevrer et de structurer avec des horaires fixes, d’envoyer son bambin “propre”, bien que trop jeune, à l’école dite Elle ne culpabilisera pas si elle refuse d’allaiter. Choisissant le biberon, elle montrera ainsi sa capacité à se détacher de “son petit”. La mère française semble alors plus individuée dans sa féminité, s’autorisant à être et femme et mère. Mais cette émancipation est un leurre, elle est dans un CDI, un lien, une relation symbiotique à vie.
Culture, seconde nature ?
"
Blaise Pascal.
En Amérique, le de l’enfant et le syndrome du nid vide ou sont de l’ordre de la résolution de problème, du comme tout de la vie. Puis Ainsi, tout comme la Guerre des n’a pas lieu d’être, l’éternel conflit mère-femme ne serait-il pas ? En fait, dans la vie d’une Américaine, la maternité n’étant qu’une petite parenthèse très vite refermée, les mises en garde d’Elisabeth Badinter contre l’hyper-attachement qui sonnerait le glas des acquis du féminisme, ne trouveront bien évidemment aucun écho. Il serait temps de sortir de notre myopie culturelle.
téléchargeable gratuitement depuis le site : www.pbaudry.com ou www.monsaintbaudry.fr
Version papier disponible sur :
http://www.harvard.com/book/etre_francaise_et_americaine/ imprimé sur les presses de : Harvard Bookstore Cambridge, MA USA